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"Il m'a fallu quatre mois pour écrire CONAN. J'avais été engagé pour écrire le premier jet. Paramount et Edward R. Pressman m'avaient dit d'y aller sans retenue. Je m'attendais à ce qu'ils me demandent une deuxième version, plus condensée. Mais je n'ai jamais eu la chance de l'écrire : Paramount a fait une croix dessus.

[Pour écrire le scénario,] j'ai lu chaque livre, chaque bande dessinée. Robert E. Howard était un drôle d'oiseau du Texas. C'est lui qui a écrit tous ces romans formidables, parus à l'origine sous forme de pulps. Il était très doué pour créer ces grands mythes pervertis, très porté vers les ténèbres, la mort et la furie, une âme wagnerienne un peu dérangée.

Howard venait ici et nous discutions. Je travaillais ici le soir, et il venait pour discuter avec moi. Il me disait de m'occuper juste de ce qu'il faisait alors, de ne pas perdre mon temps avec ce qu'il avait fait avant [1]. C'est pourtant ce qu'ont tendance à faire beaucoup de scénaristes...

[John Milius a dit de mon scénario que c'était un "rêve fiévreux sous acide"] mais c'est exactement ce que le film aurait dû être! C'est ce qui ressort du travail d'Howard. C'était un homme très étrange. Il est mort très jeune. Ce qu'Edgar Rice Burroughs avait réussi avec Tarzan, Howard l'a renouvelé avec Conan, qui est une sorte de Tarzan post-moderne, moins noble mais plus espiègle. Il a su en outre conférer une qualité science-fictionnelle à ses histoires, alors qu'elles se déroulent dans le passé. Dans les romans d'Howard, il n'y a plus de barrière entre le passé et le futur, et c'est pour ça que, dans mon script, j'ai fait le même genre d'allers et retours, suggérant ainsi que tout ce que le spectateur voyait pouvait très bien se passer dans le futur.

Conan est le genre de personnage que je peux traiter. Il est devenu moi-même. Je me suis identifié à Conan, de la même façon que je me suis identifié à Jon Lansdale dans LA MAIN DU CAUCHEMAR ou à Billy Hayes dans MIDNIGHT EXPRESS. A cause du degré de souffrance dans chacun d'entre eux. Des choses qu'ils tiraient d'eux-mêmes dans les circonstances graves.

Dans LA MAIN DU CAUCHEMAR, le personnage principal est aussi un anti-héros, puisqu'il finit par devenir un tueur. Mais en tant qu'ancien dessinateur de Marvel Comics, vous le trouvez sympathique. Conan s'applique bien à cette idée. Toutes ses réactions sont parfaitement naturelles. Il ne sait pas mentir. Mais il sait voler par contre. Pour ça, il est terrible! Il est cet homme, grand, nu, qui erre dans la ville. Il prend ce qu'il veut quand il le veut. [Il est l'homme qu'on aimerait être dans certaines situations.] On aimerait pouvoir bousiller ses ennemis, les détruire. Conan le fait.

Howard a vraiment créé une mythologie tout à fait cohérente. On pouvait facilement en tirer une dizaine de films. Si Dino De Laurentiis n'avait pas été aussi chiche, il aurait certainement pu en faire une grande série, mais il a appauvri les scripts.

La première ébauche que j'ai écrite, je l'ai d'ailleurs conçue comme la première de douze. J'ai toujours cru qu'il y aurait douze films! Malheureusement, je crois que les producteurs n'ont jamais compris la vraie valeur de ce qu'ils avaient sous la main, ils en ont toujours eu une vision trop étroite. Arnold [Schwarzenegger] aurait dû revenir tous les ans, ou tous les deux ans, comme James Bond, et en faire un.

Conan est le récit classique par excellence. J'aimais beaucoup l'idée qu'il avait été un esclave, avait souffert et était parvenu à s'élever. Ce qui est formidable dans les romans de Howard, c'est que Conan passe du stade de paysan à celui de roi. Un jeune paysan gagne sa royauté à travers une série d'épreuves et se marie avec l'une des plus belles femmes du monde. Dans mon script, qui concentre plusieurs histoires de Howard, Conan sauve la vie d'une princesse à laquelle on a volé son royaume. A la fin du film, après avoir reconquis son trône grâce à son aide, elle lui offre sa main en mariage afin qu'il devienne roi. Mais Conan refuse cet honneur. Il considére en effet ne pas avoir encore parcouru suffisamment de chemin pour accéder à une telle charge. Il lui dit : "Je ne peux pas être roi de cette manière, en étant ton mari. Je ne peux pas hériter du royaume, je dois le gagner." Du coup, il la quitte, comme Charles Bronson ou Clint Eastwood à la fin de leurs westerns, sur fond de coucher de soleil. Et il s'en va vers sa deuxième aventure, qui devait être le sujet de la suite qui était prévue. S'ils avaient fait le film à ma façon, ils auraient eu une série à la James Bond de douze ou treize films. C'est ce que je voulais faire. C'était vraiment une histoire formidable, très mythique, celle d'un jeune étranger qui fait le Bien et qui arrive au sommet de la pyramide.

Je n'aurais pas pu faire CONAN : c'était un projet trop important, très controversé et très politisé. A l'époque, le budget moyen d'un film à Hollywood était de huit millions de dollars et je me sentais plus à l'aise en travaillant avec des budgets moins élevés.

Je n'aime pas la politique des studios. Ils essaient de vous dire ce que vous devez faire, ils ne font pas attention à ce que vous voulez faire. Mon problème, c'est que j'écris des scénarios ambitieux qui demandent beaucoup d'argent pour être tournés. Et, pour CONAN, je m'étais laissé emporter.

Mon scénario aurait donné un film de quarante millions de dollars. Il racontait la prise de la planète, les forces de la vie étant menacées par celles des ténèbres. Les armées des mutants prenaient le pouvoir et Conan était le héros païen - par opposition au héros chrétien. C'était Roland à Roncevaux, Tarzan, une figure mythique.

J'avais mis plein de mutants, beaucoup d'hommes-animaux. A l'époque, je m'intéressais déjà au clonage, à l'ADN, ce genre de trucs... Ca se tenait. J'avais des images plein la tête, des armées de 400 ou 500 mutants se fonçant dessus! Mais je n'ai jamais pu réaliser cette vision sous forme de film. J'ai écrit ces scènes [dans lesquelles apparaissent toutes ces créatures démoniaques ainsi que Thulsa Doom] en regardant très attentivement les peintures de Jérôme Bosch. Il faut dire qu'à l'époque je voulais réaliser le film et que, si on m'avait confié les rênes, je l'aurais vraiment aiguillé sur un concept mélangeant mutants et bêtes, ciel et enfer. J'étais très influencé à ce moment-là par toute une imagerie issue du catholicisme. Par les poèmes de William Blake aussi. J'aurais tourné le film dans une forêt luxuriante d'Allemagne et j'aurais montré des créatures se nourrissant de chair humaine. Voilà ce qu'aurait dû être ce film. Quant à Thulsa Doom, il n'avait absolument rien à voir avec le personnage joué par James Earl Jones dans la version de Milius.

[Ridley Scott s'est retiré du projet à la dernière minute.] J'ai trouvé qu'il avait pris cette décision avec énormément de détachement. Scott est un homme à l'abord difficile. Il est quasiment impossible de savoir ce qu'il pense. Il parle peu. Au regard des conversations que nous avons eues ensemble, une évidence s'imposait cependant : il comprenait parfaitement l'univers de CONAN LE BARBARE... Peut-être alors a-t-il été effrayé par le script? Il est vrai aussi qu'on lui offrait BLADE RUNNER au même moment, et ça a certainement eu une influence sur sa décision.

Au final, ce fut la moins réussie des collaborations que j'ai jamais connues. John [Milius] et moi sommes amis maintenant, mais c'est vrai qu'à l'époque la situation était on ne peut plus tendue entre nous."

Propos tirés de : Mediascene Prevue #43 (novembre/décembre 1980), Film Comment (janvier 1987), "Le petit livre de Oliver Stone", de Gilles Boulenger (1997, Le Cinéphage) et "Conan Unchained", de Laurent Bouzereau.

 
 
  POUR EN SAVOIR PLUS...

- "THE CONAN THAT NEVER WAS" : Une comparaison très intéressante entre le script de Stone et le film de Milius.

- Une (seule) page extraite du script de Stone (en attendant qu'une bonne âme ne le mette en ligne dans sa totalité!). UPDATE: Téléchargez le scénario en entier ici.

- Quelques petites précisions de la part de Jim Danforth (spécialiste de l'animation image-par-image, et auteur du matte-painting de l'avant-dernière image du film de Milius) : "To set the record straight about CONAN: It was not originally a Dino de Laurentiis film; it was solely an Edward Pressman production, with a screenplay by Oliver Stone. That production fell apart and was revived when Dino de Laurentiis came on board. At that point Rick Baker walked, and I and several others were not carried across to the new version. The Oliver Stone script had a multi-headed dog, an artificial three or four foot tall female harpy-like 'construct', the small bat-like creatures of the Hyperboreans, an enormous creature (of which we see only a gigantic tentacle), robot-like mechanical warriors, a giant snake, and a snake-headed woman (whose snakeiness can be seen only in a mirror). Those were the stop-motion creatures: there were others, like Brak, that would have been make-up done by Rick Baker. There would also have been a number of matte paintings of the cities."
 
 
     
ConanCompletist 2004