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Avant Arnold, il y eut les bandes dessinées "Conan"...

En 1971, j'étais assis à l'hôtel Pioneer de Lahaina, à Maui. C'était le matin, et j'étais en train d'attendre que des amis arrivent au port pour partir naviguer avec eux sur leur catamaran. C'était une période un peu mouvementée sur l'île, parce que certains Hawaïens détestaient les haoles (les nouveaux arrivants), surtout si vous aviez les cheveux longs.

Assis à une autre table se trouvait un touriste chevelu qui avait engagé la conversation avec moi, après que je lui ai soufflé de ne pas trop énerver les deux Hawaïens baraqués qui le dévisageaient d'un sale oeil. Il me dit que je lui rappelais un personnage de bandes dessinées appelé Conan.

C'était la première fois que j'entendais prononcer ce nom. Il ajouta qu'il quittait l'île, mais qu'à son retour, il me ramènerait deux ou trois bandes dessinées de Conan. Je ne l'ai jamais revu, mais quelques mois plus tard, je trouvais une pile de comics "Conan" devant la porte de ma chambre à Lahaina.

Enfin, je découvrais un héros aux cheveux longs qui protégeait la veuve et l'orpheline et qui incarnait pour moi à la perfection ce qu'est un homme, un vrai! J'avais alors 22 ans, mais je n'avais encore jamais recontré quelqu'un possédant un corps semblable à celui que décrivait ces comics.

J'étudiais attentivement les dessins et je compris qu'un jour, Hollywood s'intéresserait forcément à un tel personnage. Je décidais alors qu'il me faudrait à tout prix rencontrer l'acteur choisi pour l'interpréter, et chercher à devenir son ami.

Pendant longtemps, j'ai lu et relu les comics et les romans de Conan, parce que je vivais dans la jungle de Maui, que j'étais confronté à une violence potentielle et que j'avais besoin d'un "guide". Je me revois encore, en pleine forêt, en train de prier Jésus avec ferveur, pour qu'il me donne la force de survivre en tant que surfeur. J'ai roulé avec mon van jusqu'à une plage voisine, où une centaine d'Hawaïens faisaient la fête. Mais, en tant que surfeur à cheveux longs, je n'avais rien à faire parmi eux.

A l'autre bout de la plage se tenait une autre fête dominicale, spirituelle celle-là, organisée par les adeptes de Krishna de Maui. Je suis allé faire un peu de body surf, et en sortant de l'eau, une fille de Krishna bien roulée et avec un anneau dans les narines est venue m'apporter un immense plateau de nourriture. Un repas gratuit pour un surfeur, servi sur un plateau par une fille aux allures de princesse? Sur le moment, j'ai trouvé ça très Conanesque! Alors, j'ai discuté avec elle.

Je lui ai demandé pourquoi je me sentais si proche du nom et du personnage Conan. Elle me dit que Conan était peut-être mon "nom d'âme". Je n'avais jamais entendu parler de nom d'âme avant ça, et je n'étais pas non plus le Conan de Hollywood, mais dès le moment où je rejoins leur mouvement spirituel comme adepte de Krishna, ils me baptisèrent Bhakti-Conan. "Bhakti" signifie "science de" en sanskrit. J'étais donc "La Science de Conan."

Krishna vivait il y a 5000 ans, et c'était un guerrier aux cheveux longs qui aimait les femmes. Ses combats me rappelaient ceux de "Conan", alors j'ai adhéré à la communauté Krishna, pour échapper à le monotonie du monde réel et aussi pour côtoyer des filles dont les tenues vestimentaires se rapprochaient le plus de celles des filles croisées par Conan à son époque.

Je passais mes journées dans les temples de Maui, Los Angeles et Laguna Beach, en Californie. Je lisais mes romans et comics de Conan et je pratiquais le surf et le maniement de l'épée. Je n'ai jamais rasé mon crâne, ni porté en public leur robe safran. L'apparence des dévôts, trop frivole à mes yeux, ne convenait pas à un barbare en formation. Je conservais mes vêtements de surfeur.

En 1975, j'ai déménagé à Aspen, dans le Colorado, pour vivre dans les Montagnes Rocheuses, parce que Conan était un montagnard, et que mon expérience en matière de terrains inclinés laissait quelque peu à désirer, exception faite des vagues sur lesquelles j'avais surfé. J'ai cessé d'utiliser mon premier prénom, "Jack", et j'ai commencé à me faire appeler Conan. Depuis 1975, mon passeport et ma licence sont au nom de Jack Conan Michael Angelo. "Jack", pour moi, fait désormais partie du passé. Plus personne ne m'appelle comme ça; d'ailleurs, la plupart des gens ignorent qu'il s'agit de mon premier prénom. Il représente mon côté naïf et innocent, moi qui n'avais jusque là pas encore été confronté à la violence. Je n'ai jamais eu à me battre contre quelqu'un. Personne ne m'a jamais mis au défi de le faire, malgré tous les Hawaïens qui m'entouraient à Maui et les Mexicains à L.A. Mais j'avais eu besoin du déclic des bandes dessinées "Conan" pour arriver à comprendre quoi faire au cas où les choses tourneraient mal.

Sept mois plus tôt, avant de découvrir Aspen, j'avais pris des cours de danse orientale, ce qui me permettait de manier le sabre et d'évoluer parmi des filles qui semblaient tout droit sorties de mon comic book préféré. Je me sentais comme le Conan des bandes dessinées qui aurait infiltré le "Temple Secret de l'Amour".

Pour mon premier boulot à Aspen en 1975, je m'intégrais à une petite troupe de danseurs orientaux, chargés de divertir la foule des touristes venus dîner au Sayat Nova, le restaurant arménien de l'Hôtel Jérôme. Je gagnais ma vie en ondulant du bassin entre les skieurs attablés, avant que les danseuses n'entrent en scène, et je commençais à me faire une réputation à Aspen.

En 1976, un de mes amis acteurs qui séjournait à Aspen m'apprit qu'un certain Arnold Schwarzenegger venait d'être engagé pour interpréter Conan au grand écran. Ma copine de l'époque, qui travaillait à la bibliothèque, me ramena son bouquin, Arnold, Education of a Bodybuilder. Un an et demi plus tard, Arnold était en ville. Je me débrouillais pour savoir dans quel hôtel il résidait et j'allais frapper à sa chambre. Il m'ouvrit la porte, et je pus constater de mes propres yeux qu'il était dans une forme exceptionnelle.

Je me présentais : "Bonjour, mon nom est Conan, et je suis la seule personne à avoir emprunté votre livre à la bibliothèque d'Aspen."

Il me serra la main et me présenta à sa petite amie, Susan Moray, qui lui avait fait découvrir Aspen. (Six ans plus tard, je la croiserais à nouveau, et elle m'aiderait à m'établir en tant que masseur thérapeute à deux pas du World Gym de Santa Monica.

A l'époque, Arnold commençait juste le tournage de TERMINATOR. Parce qu'il connaissait bien Joe Gold, le propriétaire du World Gym, Arnold m'obtint une carte de membre gratuite.)

Je rencontrais donc, durant cinq petites minutes, le Conan d'Hollywood, enfin! Cette année-là, je pris la décision de quitter Aspen en compagnie de ma copine, Angela Burton, dans l'espoir de le rejoindre.

Mon odyssée vers la Californie me fit faire une escale à Las Vegas, où je travaillais comme danseur pendant deux mois, puis comme responsable du plus grand terrain de skateboard des Etats-Unis. J'arrivais finalement en Californie, et il me fallut plusieur mois pour trouver un logement et comment gagner ma vie.

Puis vint le jour où j'étais enfin prêt à revoir Arnold. J'habitais à une trentaine de kilomètres de Venice et je me rendis à pied jusqu'à la plage avec un prototype de skate sous le bras, que je voulais lui offrir en cadeau. J'entrais au World Gym et je demandais si Arnold était là. Le directeur me dit : "Arnold? Il vient de juste de partir en Europe!"

J'étais abasourdi! Les mois de travail que ça m'avait coûté pour arriver jusqu'ici, les longues marches en plein soleil, la pensée que ce gars était si populaire, se souviendrait-il seulement de moi? Et maintenant, j'apprenais qu'il avait quitté le pays!

J'écrivis une longue lettre à Arnold et la laissait, ainsi que le skateboard, au directeur. Elle resta sans réponse. Durant mon séjour en Californie, un ami m'appela d'Aspen pour me demander de l'aider à organiser là-bas une conférence d'Arnold sur le bodybuilding. En 1977, cet ami parvint à ses fins. Arnold demandait 1000 $ pour une heure d'intervention. Je participais à la promotion de l'évènement, arpentant les rues d'Aspen pour y distribuer des tracts ronéotypés annonçant nos tarifs (20 $ pour les premiers rangs, 10 $ pour les places du fond), en criant : "Arnold arrive en ville!" Ce à quoi les badauds me répondaient : "Arnold qui?" En ce temps-là, Arnold était un quasi-inconnu à Aspen. La recette des entrées ne remboursa même pas les 1000 $.
Mais ce fut le début de mon amitié avec Arnold!

Le jour de son arrivée à Aspen pour la conférence, Arnold m'attendait au pied des Highlands, l'une des quatre montagnes skiables de la station. Nous nous rendîmes au Club Athlétique d'Aspen (dont je dirigeais le département massage) pour y récupérer quelques haltères et des bancs et les amener à la salle où devait se dérouler son séminaire. Une fois sur scène, Arnold m'invita à participer à la démonstration mais je restais assis sur mon siège parmi les autres spectateurs et lui dit que je préférais le regarder d'où j'étais, pour mieux en profiter. Il me faisait penser à un petit garçon bâti comme un géant qui se serait amusé avec ses jouets. Je me fis le serment d'apprendre à connaître et manier les poids aussi bien que lui.

Après la conférence, nous prîmes un taxi, Arnold et moi, pour aller dîner. Assis à côté de lui sur la banquette arrière, je ne pouvais m'empêcher de remarquer la taille spectaculaire de ses cuisses. Cette station de ski de renommée internationale avait vu défiler de nombreux athlètes, mais les jambes d'Arnold semblaient battre tous les records. Je réalisais qu'un programme d'entraînement intensif et ramassé valait mieux que de simplement vivre à la montagne pour prendre de la masse et du volume musculaire.

Lors du repas, je commandais exactement la même chose que lui (chose que je refis à chaque fois que nous renouvelâmes l'expérience, au cours des septs années suivantes; et toujours, il mangeait "maigre", même lorsque son poids frôlait les 100 kg). Il me surprit en train de reluquer ses bras, et dit "Mais qu'est-ce que tu fais?" Je lui répondis que jamais je n'avais vu quelqu'un d'aussi musclé et en même temps d'aussi détendu que lui. Il était évident qu'il s'était occupé de son corps durant de très longues heures.

Après ça, chaque année jusqu'en 1980, Arnold me passait un coup de fil quand il était en ville, et nous allions skier ensemble, puis nous sortions le soir après le restau. (Au fil des ans, j'ai vu Arnold progresser, depuis ses débuts où il me faisait penser à un grand singe maladroit monté sur des skis, sans cesse en train de tomber ou d'entrer en collision avec ses voisins, pour finalement devenir un skieur émérite.)

Je me souviens particulièrement d'une soirée en boîte de nuit, pleine à craquer. Des amis avaient formé un cercle autour de moi pour que je leur présente Arnold. Et au milieu de tout ce bruit et de toute cette foule, Arnold me montra divers mouvements qu'il avait appris en s'entraînant à l'épée pour les besoins de son prochain film, CONAN LE BARBARE, dont le tournage était prévu pour 1980-81.

Bien que connaissant personnellement Arnold, je n'avais aucune garantie d'apparaître dans le film. Il me restait encore à entrer en contact avec le producteur chargé de la préparation du film, Ed Pressman. Je lui envoyais une lettre où je me présentais et expliquais que j'étais masseur thérapeute. J'offrais à Ed Pressman de lui payer le voyage jusqu'à Aspen afin qu'il vienne vérifier par lui-même, le temps d'un week-end, la qualité de mes services, et puisse déterminer s'ils seraient éventuellement utiles sur le tournage d'un film barbare épique. La production me répondit par courrier, se disant impressionnée par mon offre, mais me signalant que seuls sept Américains seraient engagés sur le film.

Dans mon domaine, je fais partie des meilleurs. En fait, j'avais si bonne réputation à Aspen qu'un acteur, George Hamilton, entendit parler de moi et devint l'un de mes clients réguliers. Après une année entière passée à essayer de me faire engager sur CONAN, en vain, je posais finalement la question à George : "Comment faire mes débuts dans un film de cinéma?"

"Quel film?" me demanda-t'il.

"CONAN LE BARBARE," répondis-je.

"Oh, c'est mon vieil ami John Milius qui a écrit le scénario et qui va le tourner," me dit-il. "Je lui ai fait gagner son premier chèque de 5000 $ avec EVEL KNIEVEL, qu'il a écrit pour moi, et maintenant, il ne daigne même pas me répondre quand je lui en offre 500 000. Laisse-moi l'appeler pour toi."

Quand il eut Milius à l'autre bout du fil, George lui expliqua qu'il était en présence d'un gentleman qu'il recommandait chaudement pour un rôle dans son prochain film. George me tendit le combiné pour lui parler. Et John me dit qu'il doutait que cela soit possible, vu que sept Américains et seulement sept devaient être du voyage, parmi lesquels James Earl Jones et certains des meilleurs cascadeurs d'Hollywood.

Une fois qu'il eut raccroché, George chercha à me consoler. Il me promit d'en reparler à John. Il me fit passer l'un des livres favoris de Milius, consacré à la vie des samouraïs. Et il s'engagea à me procurer une version du script.

Deux mois plus tard, je revoyais George.

"Je n'ai pas pu t'obtenir de billet d'avion," me dit-il, "mais si tu te rends toi-même en Espagne, à Madrid, au moins, ils pourront voir de quoi tu es capable."

George m'expliqua qu'une fois sur place, un cascadeur pourrait très bien se blesser et que ce serait peut-être ma chance. (En fait, c'est très exactement ce qui se produisit; à peu près un mois après le début du tournage, on me demanda de faire une chute dans un puits, afin de remplacer un plan qu'un cascadeur n'avait pas pu terminer.) Pour mener à bien mes projets, j'empruntais 1500 $, de quoi me payer un billet aller-retour et tenir pendant trois jours là-bas.

Arrivé à Madrid, je me rendis au grand hôtel qui hébergeait toute l'équipe du film. Il n'y avait plus aucune chambre de libre. Ce jour-là, ils étaient en train de terminer la "scène de l'orgie", alors je passais la matinée à me présenter auprès de Buzz Feitshans, qui co-produisait le film avec Raffaella De Laurentis. Il me demanda un massage-test, mais sans rien me promettre. Je passais le reste de la journée dans le hall, à attendre le retour d'Arnold.

Dès qu'il me vit, la première chose qu'il fit fut de jeter un coup d'oeil à sa montre et dire : "On s'entraîne dans une heure."

Je n'avais aucun retour du bureau de la production, mais j'allais déjà pouvoir m'entraîner avec Arnold. Dans une petite pièce, se trouvait des poids et haltères, Arnold, Sandahl et moi. Sandahl demanda à Arnold qui j'étais et il répondit : "Il est d'Aspen, c'est un masseur thérapeute." Elle vint tout de suite me voir et me dit qu'elle avait grand besoin d'aide, parce que son dos la faisait souffrir depuis le tournage de la scène d'escalade de la tour. Je la fis s'allonger sur un banc et lui arrangeais ça.

Après l'entraînement, Arnold m'amena à sa chambre avant d'aller manger. C'est là que je pus admirer une réplique en aluminium du glaive de Conan. Idéale pour s'exercer au maniement. Arnold me parla des actrices du film, et me proposa de prendre un Coke dans le frigo, "à moins que ça ne soit contre ta religion?"

Les deux jours suivants, toujours aucune nouvelle de la production. Ils étaient débordés, et ma présence semblait si insignifiante que je commençais à m'inquiéter. Je n'avais plus un sou en poche. J'étais assis au restaurant de l'hôtel quand j'entendis trois femmes à la table d'à côté qui parlaient en anglais. D'habitude, je n'avais droit qu'à des conversations en espagnol, je fus donc plutôt surpris. Vu ma situation désespérée, je décidais de me lever et d'aller me présenter. J'étais masseur thérapeute, l'une d'entre elles avait-elle besoin de mes services? Je devais à tout prix me faire un peu d'argent pour prolonger mon séjour.

Elles me regardèrent, puis l'une d'entre elles s'exclama : "Etes-vous le Conan dont Sandahl n'arrête pas de vanter les mérites? Vous êtes le sujet principal de toutes les conversations depuis maintenant deux jours! Je suis l'épouse de John Milius. Et il a désespérément besoin d'un massage. Vous croyez que vous pourriez vous occuper de lui aujourd'hui?"

J'ignorais complètement que Sandahl avait demandé au producteur de m'engager. Les deux femmes attablées étaient l'épouse du décorateur, Robin, et la petite amie de Gerry Lopez.

C'était mon jour de chance. Mais si je ne m'étais pas un peu forcé pour aller leur parler, j'aurais certainement quitté l'Espagne le jour même.

Je montais à la chambre de John et lui fis un massage. Il m'expliqua que les longues heures de travail du mois écoulé, passées dans un froid glacial, l'avaient complètement éreinté et rendu malade. Il m'avoua que je ne pouvais pas mieux tomber.

Le lendemain, un taxi déjà occupé par trois filles passa me prendre et nous conduisit tous jusqu'à une base militaire. Je fus escorté à l'intérieur d'un hangar à avions, où avaient été érigés les décors de la tour et de la salle du trône. C'était l'heure du déjeuner. On me fit asseoir à côté de Milius et d'Arnold. Viande et vin me furent servis à profusion, pendant qu'Arnold nous parlait de son projet d'écrire un nouveau livre sur les conquérants, et nous racontait que son premier million avait été le plus difficile à gagner.

A SUIVRE...


 
Cet article © 2007 - Conan Michael Angelo. Tous droits réservés. Publié précédemment sur EntertainmentAspen. Reproduit avec l'aimable autorisation de Mr. Angelo.
 
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